Habiba Djahnine est l’invitée du café littéraire de Bouzeguene qui s’est déroulé le 14/11/2015 au centre culturel de Bouzeguene.
L’alphabet de la peur
Je déchiffre la langue de la résistance
La seule langue présente de l’identité*
Effectivement, notre quotidien est construit avec l’alphabet de la peur. Mais il faut refuser tout ce langage qui nous renferme dans la peur, qui nous tient enchainé et on devient taciturne parfois muet car il ya trop d’interdits, d’illicites. Dans les années 1990, pendant la décennie noire, un langage s’est construit autour de la peur. Habiba Djahnine sait de quoi elle parle, de quoi elle raconte. Sa poésie nous narre des moments difficiles de la vie, évoque le temps, la guerre et l’amour, le désert, l’exigu, la reconstruction, la maison bref les fragments de la maison. « Notre force est de construire notre identité avec nos histoires aussi contradictoires, violentes… ». La guerre a détruit tous les gestes de la vie quotidienne, nos espoirs, notre culture, la peur s’installe partout , détruit les valeurs et rapports humains et le tissu social. On vit dans une société très silencieuse par rapport à sa mémoire. « on a besoin de construire car on est brisé, abimé et on a aussi besoin de se reconstruire »
Profondément influencé par les poèmes de si Mohand, Mohand u yahia, Nazim Hekmet et les poètes mystiques. Pour elle, les nomades ne se font pas la guerre, ils sont sur des territoires qu’ils interrogent intelligemment, la transhumance des animaux, l’immensité du désert, la réconciliation avec le monde. Il y’a une forte recherche en soi. Le désert a toujours existé dans sa tête : errance de l’esprit et errance physique. Le corps est aussi omniprésent dans son recueil car il est la première chose détruite dans la guerre. Notre quotidien est construit avec l’alphabet de la peur. Pendant la guerre civile en Algérie, comment les islamistes s’acharnent sur le corps( le démembrer, le déchiqueter, le rendre poussière…) ? Toute identité du corps, de sa présence, du désir disparaissent. Puis il faut se reconstruire.
Proche des murs de la maison
Tout prés des silences nocturnes
Je retourne à la terre ocre et sablonneuse
Je cultive la langue du présent
Et j’attends le lever du nouveau soleil.
La poésie aide dans son expression à faire surmonter et à supporter tout ce poids et ce fardeau. On est dans une relation entre le visible et l’invisible, la présence et l’absence, toutes ces antinomies de la vie. Les frontières existent mais nous ramène à l’idée de la prison. La ville est un corps avec toutes ses particularités, ses destructions… mais la maison est une chose très vivante et vivace dans les esprits. Quand on traverse une ville, on pend des fragments. Les kabyles et Algériens passent leurs vies à construire, ils sont très attachés à la construction de leurs maisons, accompagne la construction personnelle. On construit sa personne, en même temps on construit sa maison d’où l’idée du fragment de la maison.
« Je suis très influencé par l’amour de la poésie » c’est indissociable avec le travail de cinéaste. Les gens lui disaient souvent que dans ses poèmes, il y’a des images cinématographiques et dans le cinéma il y’a beaucoup de poésie. Evidement tout est lié. La poésie est un travail de solitaire et c’est aussi une façon d’être par contre le cinéma est un travail de synergie, de réflexion, de recherche. « j’aime bien passer de ce travail individuel et solitaire à un travail d’équipe, plus collectif pour se confronter aux autres » disait-elle. Elle a un grand attachement à sa terre d’une force presque métaphysique et tellurique. Pour elle « la poésie n’est pas seulement embellir les mots, c’est aussi les casser, les malmener… »
Loin des murs de la maison
Tout près des bavardages
De nos histoires falsifiées
Se tiennent des vérités
J’ai oublié de les apprendre*
Omar Amroun
* Les fragments de la maison de Habiba Djahnine (Editions Bruno Doucey)
[wppa type= »slide » album= »35″]Any comment[/wppa]